Les Conférences du Sommet de l’AMC sur la santé de 2021 ont réuni des centaines de personnes qui ont participé à une discussion interactive sur les façons d’améliorer la santé et le système de santé, et de soutenir les travailleurs de la santé.
L’AMC a consigné bon nombre de réflexions dans un rapport final, lequel contribuera à orienter sa nouvelle stratégie, Retombées 2040.
Nous avons également compilé les moments clés sur vidéo pour chacune des trois séances virtuelles.
Scenario :
Le 18 mai 2021, lors d’une séance au Sommet de l’AMC sur la santé, six panélistes prennent part à une discussion virtuelle sur les soins de santé universels. Les affichages se succèdent : les six panélistes apparaissent à l’écran en même temps, puis chaque personne occupe le plein écran lorsqu’elle décrit la séance à laquelle elle a participé. Mme Althia Raj, modératrice, la Dre Ann Collins, présidente de l’AMC, les Dres Nadine Caron et Danielle Martin (conférencières principales), André Picard, chroniqueur spécialisé en santé du Globe and Mail, et Sudi Barre, représentante des patients, apparaissent dans la vidéo.
Althia Raj, modératrice
Lors des séances en petits groupes, on a abordé cinq grands thèmes ou enjeux. Tous les membres de ce panel ont assisté à l’une de ces cinq séances, et je voulais clore le Sommet en leur demandant de résumer ce qu’il et elles ont retenu. Sudi, commençons par vous. Votre séance portait sur la manière d’instaurer des soins axés sur le partenariat avec les patients. Quels obstacles et solutions ont été discutés?
Sudi Barre, représentante des patients
Merci Althia. Parmi les obstacles évoqués, on note l’absence d’intérêt pour le partenariat avec les patients au cours des années passées. Ce partenariat ne s’inscrit pas vraiment dans le cheminement et le processus de rétablissement pour les soins au patient. On note également que les informations hospitalières sont souvent basées sur la rémunération à l’acte. Pour illustrer ce propos, on a utilisé l’exemple du mécanicien. Il répare la voiture, mais celle-ci appartient au propriétaire, or dans ce cas-ci il s’agit du patient, donc les dossiers devraient lui revenir. Parmi les avantages et les progrès extraordinaires que nous avons constatés, il y a l’accélération des systèmes de télésanté du fait de la pandémie et la mobilisation des soins virtuels dans la lutte contre la COVID. Je ne pense pas que ces façons de faire vont disparaître.
Althia : André, votre groupe a essayé de cerner les plus grandes lacunes en matière de soins de santé et la façon de restructurer l’assurance maladie pour les corriger. Pouvez-vous nous en donner un ou deux exemples?
André Picard, chroniqueur spécialisé en santé, The Globe and Mail
Je pense qu’on a atteint une sorte de consensus, grâce à un groupe bien diversifié : médecins retraités, praticiens actifs, patients, représentants syndicaux, donc un bon échantillon. Une sorte d’unanimité s’est faite pour imputer les plus grandes lacunes aux soutiens sociaux plutôt qu’à la médecine à proprement parler. Il y a donc un réel désir d’aborder les déterminants sociaux de la santé, allant de la garde d’enfants jusqu’au soutien du revenu, etc. C’était l’aspect vraiment intéressant. La discussion a surtout porté sur le besoin pour le public de s’exprimer, d’exiger davantage de ses représentants politiques. Et, dernier point, les personnes participantes ont évoqué l’inquiétude qui règne au sein du public. On cherche un changement, tout en craignant que les choses se détériorent, ce qui empêche d’obtenir le changement dont on a réellement besoin. Les échanges dans notre groupe ont vraiment été enrichissants.
Althia : Nadine, votre séance portait sur les possibilités pour le système de santé de mieux répondre aux besoins des populations racisées et vulnérables. Quelles idées audacieuses ont été exprimées?
Dre Nadine Caron, chirurgienne oncologue
La discussion a vraiment été passionnante. Merci, Althia. Tout d’abord, nous avons cherché à définir ce qu’on entend par groupes racisés et vulnérables? Et nous avons examiné quelques exemples, en particulier les nouveaux immigrants et les réfugiés. Si nous avions eu plus de temps, je suis sûre que nous aurions abordé d’autres collectivités comme les peuples autochtones et d’autres groupes racisés au Canada et quelles sont nos responsabilités lorsqu’une personne vivant au Canada franchit la porte d’un de nos établissements de santé. La langue vernaculaire constitue un élément important, en ce qui concerne les populations vulnérables qui ne s’expriment pas dans la langue d’usage, l’anglais ou le français, en fonction du lieu. On a aussi parlé de la terminologie médicale et du fait qu’on puisse parler anglais, vivre au centre-ville de Vancouver, de Calgary ou d’Edmonton, mais ne rien comprendre au « jargon médical ». Nous avons rapidement abordé le domaine des soins de santé virtuels, mais nous avons manqué de temps. Il en est ressorti un mot : « choix ». Les gens veulent avoir la possibilité de choisir, longtemps après la fin de la COVID, en matière d’avantages, s’ils n’ont besoin que d’un suivi virtuel avec un médecin de famille ou un spécialiste, ou s’ils veulent avoir une vraie conversation en personne, en cas de difficulté, et s’il leur faut un soutien supplémentaire. Ce fut une excellente conversation et nous retirons beaucoup d’éléments à retravailler pour l’AMC.
Althia : Merci, Nadine. Danielle, votre groupe a analysé les forces et les faiblesses qu’a révélées la pandémie et la façon dont nous pouvons en tirer des enseignements pour améliorer le système. Quels ont été les éléments marquants de cette discussion?
Dre Danielle Martin, vice-présidente directrice, Hôpital Women’s College
Je commencerai par dire à quel point j’ai été impressionnée par la diversité de notre groupe. Nous avions des gens de toutes les générations, des étudiants en médecine jusqu’aux personnes qui pratiquent depuis 40 ans. Les soins virtuels ont fait l’objet d’un débat animé au sein de notre groupe. La question étant de savoir si le balancier est allé trop loin et si nous avons dépassé les limites de ce que l’on peut raisonnablement attendre en matière de soins de haute qualité alors que l’exercice de la médecine se fait en grande partie dans un espace virtuel. Toutefois, en parallèle, il y a possibilité d’utiliser les soins virtuels selon certaines modalités pour favoriser l’équité et l’accès. Par conséquent, l’un des thèmes abordés concernait les formes que peut prendre une version des soins virtuels, responsables, de haute qualité, comme le dit Nadine, et au service du patient, pour l’intégrer dans le système à l’avenir. Le deuxième thème portait sur le vieillissement. Nous avons beaucoup parlé des échecs lamentables en matière de soins de longue durée, et nous avons rapidement abordé les questions des modèles de prestation de soins, de réglementation, des normes de qualité, de l’équité salariale et des négociations collectives, et la réflexion a dépassé les soins de longue durée pour porter sur les maisons de retraite et les soins à domicile, ainsi que l’aide pour vieillir à domicile. Nous avons vraiment tenté de ne pas centrer la conversation sur les soins de longue durée pour comprendre que la conversation devait porter sur le vieillissement dans son ensemble. Ce fut une excellente conversation.
Althia : Merci, Danielle. Et pour finir, Ann. Votre séance s’est concentrée sur les approches novatrices en matière de soins de santé pendant la pandémie et sur la façon de garantir la continuité de cet esprit d’innovation.
Dre Ann Collins, présidente de l’AMC
Une chose est certaine, les soins virtuels ont capté l’attention de tous et toutes. Et je pense que l’on peut dire sans se tromper que c’est le cas partout au Canada, nous avons donc passé la majeure partie de notre discussion sur ce thème. Il faut continuer à innover en cherchant à créer par exemple : de meilleures plateformes pour offrir un accès facile aux soins de santé mentale, des plateformes éducatives pour nos apprenants, qui ont été quelque peu surpris en pleine pandémie par l’irruption des soins virtuels. En ce qui concerne la façon de maintenir l’innovation ou de poursuivre une démarche novatrice, le fil conducteur semble le suivant : si vous rencontrez les patients là où ils se trouvent, et si vous les voyez dans leurs milieux de vie, interrogez-les sur les besoins de leurs collectivités, cela mènera très souvent à l’innovation. Dans certains cas, il ne s’agit pas seulement de rechercher l’innovation, mais aussi d’examiner, de reconnaître et de prendre conscience de ce qui existe déjà. L’exemple utilisé, c’est la non-reconnaissance de l’importance critique des proches aidants et du soutien qu’ils apportent aux personnes âgées, non seulement à domicile, mais aussi dans les établissements de soins de longue durée. Une méconnaissance qui a contribué en partie à l’effondrement des soins de longue durée en Ontario. La discussion fut intéressante, mais les soins virtuels ont capté l’attention de tous.
Althia : C’est en effet le cas. Merci, Ann. Les séances en petits groupes ont permis de dégager tant d’idées et de points de vue intéressants. Il semble que vous ayez tous eu des discussions passionnantes.
Dre Jane Philpott
Les pires résultats de la pandémie ont été ressentis par les personnes qui sont le moins aptes à s’exprimer, à se faire entendre ou à être prises au sérieux. Nous avons observé l’impact en temps réel de la discrimination fondée sur la capacité physique, l’âge, le racisme et d’autres structures d’oppression. Mais nous avons également eu un aperçu de ce qui est possible lorsque ces structures sont remises en question et que les barrières tombent. L’une des leçons les plus puissantes que j’ai observées est l’influence protectrice des modes de connaissances et d’actions autochtones. Le chef Don Maracle des Mohawks de Tyendinaga de la baie de Quinte a pris des décisions intelligentes en matière de santé publique fondées sur la culture. Dès le départ, il a veillé à ce que les aînés soient informés qu’ils devaient rester à la maison, à ce que des repas leur soient livrés et à ce qu’un système soit mis en place pour les accompagner. Il m’a dit que la priorité absolue était la protection des aînés chez eux. Le résultat? Eh bien, dans une population de cinq mille personnes, il n’y a eu que onze cas de COVID et un seul décès. Imaginez si nous avions ce genre de soins pour les personnes âgées dans le reste de notre culture.
Dr Naheed Dosani
Nous devons donc changer de mentalité. Nous avons tendance, surtout dans la médecine, comme Jane a dit, à être paternalistes envers les patients. Il faut changer de mentalité. Il faut arrêter de demander aux gens « Qu’est-ce qui ne va pas chez vous? » et leur demander « Qu’est-ce qui vous est arrivé? », « Qu’est-ce qui est important pour vous? ». Il faudrait plutôt nous pencher sur les forces des gens, sur l’avenir possible pour les gens et il faudrait arrêter de prescrire des médicaments et vraiment mettre l’accent sur la guérison. La guérison communautaire doit être au cœur de notre système de soins de santé. J’ai déjà travaillé dans les hôpitaux – les hôpitaux sont importants – mais il faut investir dans les communautés. Il faut investir les ressources pécuniaires et le temps, et il faut concevoir conjointement le système de santé avec les gens qui l’utilisent.
Nicole Nickerson
J’ai moi-même été récemment témoin de la triste exclusion de la participation des aidants naturels aux soins en raison des restrictions imposées aux visites à l’hôpital. Ma grand-mère Scott a 84 ans et était totalement indépendante. Elle s’est rendue aux urgences pour des étourdissements et des nausées. Elle a dû être transportée par des membres de la famille dans un autre hôpital, faute d’ambulance. On lui a alors annoncé qu’elle avait un cancer du poumon qui s’était propagé au cerveau. Elle était seule, aucun membre de sa famille n’avait été autorisé à l’accompagner. Où est la compassion dans une telle situation? Toujours dans ma famille, pendant la pandémie, ma mamie Hartman, une femme forte et stoïque, est devenue confuse et frêle. Je sais maintenant que si ma famille avait pu rendre visite à ma mamie Hartman, ce déclin rapidement aurait pu être ralenti grâce aux contacts sociaux si nécessaires pour les personnes atteintes de démence. Les travailleurs des établissements de longue durée ne peuvent faire ce travail seuls. Des gens comme ma mamie n’ont pas la capacité d’avoir des visites virtuelles indépendantes avec leurs proches. Il en résulte des situations personnelles incroyablement tristes… ma mamie dit maintenant vouloir mourir. Les proches aidants sont beaucoup plus que des visiteurs.
Dre Katharine Smart
Merci à tous les panélistes. Je trouve que ç’a été très puissant. On sait que pour arriver à l’équité, il faut vraiment redéfinir ce que sont les soins de santé. Je pense qu’on sait que la santé c’est beaucoup plus que ce qui se passe dans le cabinet d’un médecin et à l’hôpital. C’est une question de partenariat, de politiques et d’aplanir les silos.
Scénario :
Quatre panélistes prennent part à une discussion virtuelle au sujet de la culture médicale lors du Sommet de l’AMC sur la santé du 22 août 2021. Les affichages varient entre chaque panéliste seul, en plein écran, et les quatre panélistes à l’écran en même temps. La Dre Jillian Horton, conférencière principale, la Dre Aditi Amin, panéliste, Michelle Hamilton-Page, représentante des patients, et le Dr Sandy Buchman, président sortant de l’AMC, apparaissent dans la vidéo.
Dr Sandy Buchman, président sortant de l’AMC
La pandémie a soumis les professionnels de la santé à un tout nouveau niveau de pression. Travailler à un niveau d’intensité élevé, dans des conditions aussi stressantes et face à des pertes incessantes a un impact considérable. Épuisement professionnel, dépression, stress, réflexions éthiques, difficulté à concilier vie professionnelle et vie privée, ces défis sont d’autant plus évidents aujourd’hui, et les besoins de solutions et de soutien d’autant plus pressants.
Dre Jillian Horton, médecin experte en bien-être
Beaucoup de mes amis disent que la médecine est brisée. Ils se sentent eux-mêmes brisés. Et je ne pense pas qu’un être sensible puisse prétendre que la COVID n’a pas mis à nu les profonds dysfonctionnements de notre société. C’est pourquoi nous devons changer radicalement notre état d’esprit.
Dre Aditi Amin, experte en médecine du travail
La question qui se pose est donc la suivante : « Que devons-nous faire pour rendre ces environnements plus sains et sécuritaires? ». La tâche ne sera pas simple, et ce n’est pas quelque chose qui peut se faire du jour au lendemain. Les obstacles à un environnement sain et sécuritaire sont profondément enracinés dans notre culture médicale.
Michelle Hamilton-Page, représentante des patients
Les patients essaient de devenir des alliés pour le bien-être des médecins et de reconnaître que la fragilité de nos vies pendant la pandémie a été le lot aussi des travailleurs de première ligne. Nous voulons donc reconnaître le fait que nous sommes tous en train de vivre la même expérience.
Texte à l’écran :
Comment les autres professions peuvent-elles nous aider à améliorer notre bien-être physique?
Dre Jillian Horton
Que dirait quelqu’un d’une autre industrie de notre travail quotidien? On devrait mettre à contribution ces partenaires, surtout si on est universitaires. On peut demander aux gens des entreprises, à des psychologues d’étudier notre travail avec un nouveau regard.
Dre Aditi Amin
D’autres professions, où des prises de décision cruciales sont nécessaires, comme dans les forces de l’ordre et même l’industrie du camionnage – les camionneurs long-courriers par exemple –, ont des limites qui sont bien inférieures à 24 heures ou même 16 heures à cause des exigences physiques et psychologiques de leur travail.
Nous sommes l’une des seules professions qui fait cela. Quand j’ai travaillé pour le service de police, il n’y a personne qui avait des quarts de travail aussi long. Il faut obtenir toute l’expérience nécessaire lors de notre formation, mais on ne doit pas y laisser notre santé pour autant. Il faut accroitre nos capacités pour éviter les erreurs. Il y a vraiment du travail à faire là-dessus.
Texte à l’écran
Quels changements sont nécessaires sur le plan individuel et systémique?
Dre Jillian Horton
Je choisirais quelque chose pour changer la culture. Je choisirais quelque chose pour changer l’efficacité de la pratique. Et je choisirais quelque chose pour aborder la résilience personnelle. Pourquoi? Parce qu’il s’agit d’un écosystème.
Michelle Hamilton-Page
Le changement commence par nous. Ça semble plutôt une platitude, mais c’est vrai. C’est cette autoréflexion dans tout ce que l’on fait. Quand on est sensible à notre milieu, dans nos interactions, dans nos collaborations. Il faut que ce soit ainsi avant que l’on voie un patient.
Dre Aditi Amin
Il est encourageant de constater qu’entre nous, et dans la façon dont nous fournissons des soins à nos patients, il existe un mouvement vers une conceptualisation plus holistique de la santé qui prend en compte les composantes physiques, émotionnelles, mentales, sociales et spirituelles.
Dr Sandy Buchman
En revenant à une nouvelle normalité, il est temps de s’engager à apporter des changements à la culture médicale, à donner la priorité au bien-être physique et mental et à embrasser l’équité et la diversité. L’heure est venue.
© Association médicale canadienne 2023